Le Discours de la Méthode: Descartes, un maître pour le technicien
J'ai écrit ça pour le bénéfice de mes élèves de première technique... Qui est Descartes
Introduction
Descartes est ce qu'il est convenu d'appeler "un savant", contemporain de Galilée. Son œuvre est très importante et on a donné son nom aux lois de propagation de la lumière. Il est surtout célèbre pour son "Discours de la méthode".
Comme souvent, il n'y a rien de très nouveau dans ce "discours", mais le génie de Descartes est d'avoir rendu certaines notions évidentes pour tout le monde.
Le "Discours de la méthode" n'est pas un discours au sens actuel et électoral, c'est le récit autobiographique d'une introspection où Descartes met à plat toute sa philosophie (au sens de façon d'envisager la vie) et reconstruit sa vision du monde. Cela lui prendra plus de dix ans (il a commencé à 23 ans). Mais le Discours n'est en fait qu'un récit idéalisé, on pourrait presque dire romancé de cette expérience.
Pour un élève de lycée technique le langage du dix-septième siècle est un peu difficile à lire, mais le Discours Dans son édition de 1988 (le Livre de Poche, prix environ 17F) fait moins de cent pages et seule la première moitié est réellement intéressante pour nous. De plus ce n'est pas un texte à lire en une heure, mais à méditer.
Descartes a souvent été contesté pour ses options philosophiques, mais mon propos n'est aucunement d'entrer dans une querelle de philosophe et peu m'importe ce que Descartes et ses contemporains voulaient faire du Discours, pourvu que ce que j'y trouve m'aide à structurer mon travail et mon raisonnement. Il est patent que l'application de la méthode de Descartes aux études techniques et scientifiques facilite la résolution des problèmes et rien que cela justifie à mes yeux que chaque technicien consacre un peu de son temps à lire Descartes.
Le texte est limpide. Il est aussi court et donc dense et il est illusoire de vouloir le résumer sans le dénaturer.
Le Discours comporte six parties. Les trois dernières sont des exemples d'application de la méthode qui n'ont de sens que ramenés à la société de l'époque, mais les trois premières ont une portée bien plus générale. Faute de pouvoir les résumer je vais citer un passage de chaque partie en espérant vous donner envie de lire le reste.
L'extrait ci-dessous de la deuxième partie est tout ce que connaissent la plupart des gens, mais il serait dommage d'en rester là. Avant de laisser la parole à Descartes, disons quand même que le Discours n'est en rien ennuyeux ni moralisateur, il est au contraire plein d'humour.
La citation de la première partie, qui débute le Discours, en est la preuve. Les titres sont de moi, mais sont des citations de l'introduction au Discours par l'auteur (une demi-page).
Première partie : Diverses considérations touchant les sciences
Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que certains sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s'en éloignent...
Notez qu'en 16xx, professer l'égalité de bon sens entre les hommes, sous entendu qu'ils soient nobles ou manants, clercs ou vilains... était très révolutionnaire. Si vous lisez l'intégralité du discours, vous verrez que Descartes prends grand soin de s'associer à l'église de l'époque et aux croyances de son temps. Il n'y a pas si longtemps que le moine Giordano Bruno a été brûlé pour hérésie.
Deuxième partie : Les principales règles de la méthode
...Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont étroitement observées, ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.
Le premier est de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle : c'est à dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés : et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrement si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre...
Troisième partie : Quelques règles de morale tirées de la méthode
...je me formais une morale par provision qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes, dont je veux bien vous faire part.
La première était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l'excès qui fusse communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j'aurais à vivre... Et encore qu'il y en ait peut être d'aussi bien sensés parmi les Perses ou les Chinois que parmi nous, il me semblait que le plus utile était de me régler selon ceux avec lesquels j'aurais à vivre ; et que pour savoir quelles étaient véritablement leurs opinions, je devais plutôt prendre garde à ce qu'ils pratiquaient qu'à ce qu'ils disaient, non seulement à cause qu'en la corruption de nos mœurs il y a peu de gens qui veuillent dire tout ce qu'ils croient, mais aussi à cause que plusieurs l'ignorent eux même, car, l'action de la pensée par laquelle on croit une chose étant différente de celle par laquelle on connaît qu'on la croit, elles sont souvent l'une sans l'autre...
J'ai mis en évidence la fin de la phrase qui peut surprendre. Descartes a compris que l'homme s'illusionne souvent sur ses propres opinions. Trois siècle plus tard on pouvait se dire anti-raciste et tiquer si sa fille veut épouser un noir.
Ma seconde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m'y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées... Et ainsi, les actions de la vie ne souffrant souvent aucun délai, c'est une vérité très certaine que, lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables, et même qu'encore que nous ne remarquions point davantage de probabilité aux unes qu'aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques unes, et les considérer après non plus comme douteuses, en tant qu'elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer se trouve telle.
Une maxime difficile à tenir, mais essentielle. Il ne faut pas sans arrêt changer d'avis. Une fois la décision prise, par le fait même, elle devient la meilleure...
Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde : et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y à rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait de notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible... Enfin, pour conclusion de cette morale je m'avisais de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure, et sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensais que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c'est à dire que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pourrai en la connaissance de la vérité suivant la méthode que je m'étais prescrite...
Se changer au lieu de vouloir changer les autres, autre maxime bien difficile!
Remarque
Pour information, notez que la quatrième partie donne la preuve de l'existence de Dieu et de l'âme humaine, la cinquième est consacrée aux questions physiques, à l'explication du mouvement du cœur et à la différence entre notre âme et celle des bêtes. La dernière est consacrée à des considérations personnelles à l'auteur.